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Valparaiso ma ville

Valparaiso je t'aime

Il y a dans les gravures des artistes natifs de Valparaiso (ou Viña del Mar en ce qui concerne Roberto Acosta) un sentiment singulier fait de contradictions. Les liens qui les relient à cette ville mythique, qui palpite dans leur cœur, sont en effet souvent composés à la fois d’attachement et de souffrance.

Le regard que porte un étranger sur Valparaiso est différent. Il peut d’ailleurs varier considérablement selon son origine et ses habitudes sociales. Valparaiso est en effet une ville aux multiples visages : festive et animée pour certains, étrange et inquiétante pour d’autres. Mais quand est-il du regard que portent ceux-là mêmes qui y vivent ?

Valparaiso peut être représentée comme une ville touristique tranquille et agréable, une ville magnifique avec sa baie sur l’océan Pacifique. Mais elle peut être observée d’une toute autre manière, dans ces divergences ou multiples facettes qui dépassent l’apparence d’une vie superficielle. Les estampes choisies que je vous propose de regarder sont faites de spontanéité et d’authenticité. Elles ont en commun une sincérité qui détermine fondamentalement leur appartenance à ce lieu, Valparaiso, tel un fruit qui ne peut être cultiver nul part ailleurs. Ces estampes sont le résultat de longues années de vie commune entre l’artiste et Valparaiso, voire de l’enracinement de plusieurs générations. Les gens de Valparaiso se reconnaissent entre eux, ils ont une expérience de vie spécifique. C’est indicible.

L’observation de quelques œuvres est certes insuffisante. Elle est pourtant révélatrice. La densité iconographique est la première de leurs caractéristiques. Travailler l’accumulation des objets devient parfois une finalité en soi, Gladys Figueroa par exemple développe particulièrement cette voie esthétique en la détachant du repère topographique. L’idée de multitude peut être impressionnante lorsqu’elle est associée à celle de chaos. Paradoxalement, ces transcriptions de l’apocalypse semblent vouloir généralement présager une reconstruction.

© Camilo Zepeda
Camilo Zepeda

Le paradoxe de la destruction

« Ouverture » 2009 de Camilo Zepeda est une représentation symbolique de ce Valparaiso. C’est bien de Valparaiso dont il s’agit, en effet devant la chèvre (agneau rédempteur ?) qui figure au centre de l’image gît la statue du dieu Mercure (effigie du journal régional et national chilien) Cette statue allégorique pourrait être ordinaire, mais elle ne l’est pas. Le passant qui l’a regardée, dressée au sommet du bâtiment qu’elle domine, le sait car il n’a pu que ressentir le sentiment d’incertitude quant à la stabilité de son implantation. La statue est retenue par des câbles et semble défier les lois de l’apesanteur. L’appréhension de la destruction est subconsciente au Chili. Ancrée dans les esprits, elle devient le vecteur d’un imaginaire. Ce qui semble avoir été un présage, Camilo Zepeda ayant réalisé cette gravure un mois avant le séisme du 27 février 2010, est en fait l’émanation d’une réalité géographique.

Un vaisseau d’une autre époque a chaviré parmi les décombres de la ville dévastée telle Alexandrie disparue au fond de l’océan. Ce vaisseau évoque les histoires de pirates. Valparaiso devient un mythe. Au loin s’annonce déjà l’aube d’un jour nouveau et prometteur.Cette vision artistique transmet aussi le tempérament des gens de ce pays. Quand les dieux les accablent, ils ploient sous le malheur puis, à l’heure de la reconstruction, ils se redressent avec pugnacité.

© Roberto Acosta
Roberto Acosta

La gravure de Roberto Acosta « La maison par la fenêtre 2 » 2008 n’est pas une représentation de Valparaiso. Elle en a cependant l’esprit. Elle contient un nombre important d’objets en tout genre jetés, selon le titre, par la fenêtre. L’accumulation créée un phénomène visuel dont les combinaisons sont infiniment variées. La recherche esthétique est semble t-il une préoccupation majeure. En voulant dépasser les limites d’une xylographie traditionnelle, l’artiste s’engage dans une quête de l’esthétique du contraste. Il sature le papier de vibrations pour donner vie à l’œuvre. Valparaiso est ainsi : une ville très vivante et qui marque par sa personnalité intrinsèque et immatérielle. Valparaiso patrimoine de l’humanité.

L'échelle parmi les décombres est un élément rarement neutre en raison de sa symbolique liée à la notion d'ascension (échelle de Jacob) son rapport la terre / ciel dans une idée d'élévation qui ne sera pas sans effort. Dans cet instant gravé, la tentative d'ascension fut, puisque l'objet est abandonné, ce qui participe à l'effet dramatique de cette scène. Cette décharge témoigne de vies passées, cassées, inutiles et mises à l'écart. Serait-ce une critique sociale ? Une double lecture donnerait à cette oeuvre une force indéniable.

© Virginia Vizcaino
VIZCAINO Virginia 2011 Je parcours ce pays jour après jour

Une ville qui coule dans leurs veines

La conception de Virginia Vizcaino est à la fois similaire et distincte de celles de Camilo Zepeda ou de Roberto Acosta. Les deux gravures qu’elle a imaginées et qui répondaient au thème de Paysages Urbains de la Biennale 2011de Saint Maur, en France, développent une iconographie plus personnelle et mystérieuse.

La première au titre évocateur de « Je parcours ce pays jour après jour » 2011 témoigne d’un microcosme dynamique singulier. L’association de la ville Valparaiso avec un élément aussi naturel et simple qu’une feuille végétale découle du lien étroit qui unit l’artiste à sa ville, à ce lieu précis sur le flanc de l’une de ces fameuses collines où elle vit. Le fond pastel sur lequel ce détache cette ville végétale est d'une grande délicatesse, faite d'empreintes dans une recherche esthétique à la fois préméditée puis spontanée au moment de sa réalisation. La couleur rouge est audacieuse, apportant inconsciemment la symbolique à laquelle le code social la rattache généralement : le sang universellement interprété comme synonyme de vie.

© Virginia Vizcaino
VIZCAINO Virginia 2011 Surprise dans le nid au milieu de la nuit

La deuxième gravure « Surprise dans le nid au milieu de la nuit » 2011 explore le monde imaginaire sous-terrains. Cette proposition est singulière tant par l’exploration inédite que par la solution iconographique. La liaison entre ce qui est extérieur et ce qui est intérieur (invisible) se fait par la salamandre. La présence de ce petit reptile donne une connotation positive à l’œuvre de Virginia (il n’est associé à aucune superstition) La ville sous terre est faite de robinets, tuyaux, câbles et connections. Le travail des valeurs colorées, gris, gris rose, signifie l’éloignement à la lumière et ne véhicule pas de pessimisme. Ce monde sous-terrain de Valparaiso pourrait inclure les eaux cachées par l’asphalte et qui coulent à l’insu de tous sous nos pieds. Son titre "Surprise dans le nid au milieu de la nuit" lui donne une touche de gaieté. On peut aussi envisager que cet univers sous-terrain se situe juste sous le plancher de la maison où habite Virginia lorsqu'on sait qu'elle observe ces salamandres déambuler dans son atelier.

Ces deux œuvres sont des propositions iconographiques originales et poétiques. L'interprétation du paysage urbain de Valparaiso est singulière. La combinaison des techniques est aussi un aspect qui donne à réfléchir.

© David Contreras
David Contreras

La lithographie « La ville et ses amarres » 2009 imaginée par David Contreras participe à diversifier l’imagerie populaire de Valparaiso, notamment par double thème : la ville et le cerf-volant. L’imbrication confuse des maisons schématisées est toutefois symptomatique de cette notion d’accumulation toutefois, ici, il ne s’agit pas de destruction. Les lignes s’enchevêtrent de sorte à saturer le papier. Les fils auxquels sont accrochées des silhouettes humaines semblent dès lors signifier une aspiration à la liberté, voler au-dessus de tout sans rompre cependant les amarres. Là encore, le sentiment d’appartenance à la ville, Valparaiso, est indéniable. C’est un sentiment profond.

Valparaiso demain

La ville de Valparaiso ne laisse certes pas indifférent. Elle exerce sur ses habitants un sentiment d’appartenance. Les artistes expriment ce lien fort qui les relient à cette ville. Valparaiso voudrait préserver son âme. Elle ne peut cependant arrêter la course du temps.

© Cécile Bouscayrol

Valparaiso - ChileL'activité portuaire participe aussi à ce concept d'accumulation. Les bateaux, les containers et les marchandises appartiennent aux champs visuels habituels des habitants de villes portuaires et imprègnent l'esprit d'une grande quantité de choses visibles ou imaginables. D'autres photographies illustrent des mises en scène d’un imaginaire proche de la réalité. Il serait vain de les utiliser quand elle fait un état des lieux désolant : quartiers vétustes, maisons effondrées, graffitis, ou autres signes de pauvreté. Ce n'est pas notre propos. Valparaiso ne doit pas être démystifiée. Ces réalités font partie intégrante d’un imaginaire qui sait les métamorphoser pour s’en abstraire.

Les œuvres présentées sont :

  • « Ouverture » 2010, Eau-forte, aquatinte, de Camilo Zepeda
  • « La maison par la fenêtre 2 » 2008, Xylographie de Roberto Acosta
  • « Je parcours ce pays jour après jour » 2011, Eau-forte, aquatinte, vernis mou, collagraphie, de Virginia Vizcaino
  • « Surprise dans le nid au milieu de la nuit » 2011, Eau-forte, aquatinte, collagraphie, de Virginia Vizcaino
  • « La ciudad y sus amarras » Litografia, 2009, de David Contreras
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