Sabine Delahaux ici même, ici bas
Dans les fantasmagories et l’étrange bestiaire de Sabine Delahaut surgit la fascination de l’absence. De même que le dépouillement du sens usuel dont nous revêtons les éléments du monde et de l’humain. L’important est de recréer le « choc » favorable à la perception non d’un au-delà mais d’un en deçà – ce qui ne revient pas pour autant à se cantonner dans la pure animalité. Au contraire.
© Sabine Delahaut
L’œuvre provoque l’interrogation du regard du spectateur. Existe chez elle un processus poétique et surréaliste qui permet de rechercher plus que le « beau pour lui-même une manière d’appréhender l’existence en ses fonds auxquels l’artiste donne sa vision. L’œuvre permet aussi de s’immiscer dans les labyrinthes du songe par les métamorphoses qu’elle engendre.
Sabine Delahaut évite avec soin de saisir les humains. Elle préfère éteindre leurs bougies pour les remplacer par d’autres figurations afin de mieux les appréhender. Aussi nocturne que diurne sa figuration faussement « caricaturale » saisit des instants cernés par un certain vide où le regard bascule. Parfois la lucidité du noir trouve appui sur une certaine idée d de la chute avant de se perdre sur les hauteurs d’un brusque saut d’une chien.
Le monde est restitué selon un ordre plus primitif et essentiel. Comique aussi. Comique ou presque. Sortant du décoratif l’artiste se retire de la simple évidence du monde en ne cédant pourtant en rien sur certains de ses éclats acides. L’artiste provoque par ses propres lignes des césures. S’inscrit la narration d’un monde qu’elle veut sauver avec obstination de la débâcle des naufrages.
Demeure aussi le point de démarcation d’un état de vision et d’un état d’oubli, d’un état de veille et d’un état forcément fantomatique. Comment dès ne pas voir ou entrevoir le « graphitique » que crée chaque dessin et loin de tout fantasme : à sa place la fantasmagorie est en marche.
© Sabine Delahaut
L’animalité permet de montrer ce qui ne se voit ou ne se dit pas. Cela revient à ne plus marcher dans sa propre peau mais dans celle de l’espace étrange où en va d’une reconnaissance sensorielle du secret de l’être, de ses faces cachées. Les images permettent d’atteindre ces lieux où « rodent nos animaux » comme écrivait le plus grand des poètes : Artaud.
Ajoutons que dans l’œuvre à l’horizontalité répond la verticalité par un appel d’un seuil à franchir. Il faut donc consentir au saut vers ce qui nous échappe mais que les images rappellent. S’y confronter devient l’acte essentiel. Nous sommes seuls, soumis à une inavouable communauté dont nous devenons partie prenante.
Tout ce que l’artiste soumet loin de la figuration proprement humaine ne crée pas une distance. Un corps nocturne brille. L’œuvre devient son initiation, son incorporation. Une rêverie s’y déploie. Elle jouxte une autre rêverie plus organique où demeurent des vestiges essentiels. Ou plutôt des états naissants.
En eux « s’image » une faille au font de laquelle rugissent des présences inconnues. Le blanc sur lequel le noir s’appuie n’est pas le vide. Un jour se lève loin de l’illusion « réaliste » fidèle, objective, « naturelle » de la réalité. Sabine Delahaut n’est pas une topographe mais une poétesse.
Elle jette au milieu de l’effroi, de la solitude comme du rire. L’art apparemment modeste devient une grande méditation en acte. Il interroge même le regard qui est sensé le voir. Car il fissure énigmatiquement les certitudes trop facilement acquises de la contemplation fétichiste.
Quelque choses se produit qui n’est pas de l’ordre du simple point de vue. Celui constitue une mise en rêve du rébus humain. On se cherche en lui comme l’âme autrefois se cherchait dans les miroirs.